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Lanterne #1 - De fil en aiguille

Dernière mise à jour : 15 juin 2024

De loin l'un ou même le métier du funéraire le plus dissimulé aux yeux de tous, le thanatopracteur est une représentation parfaite de ce que je nomme aujourd'hui Lanterne. Profession méconnue, parfois objet d'idées ou de suppositions plus ou moins vraies, un thanatopracteur est, comme son nom l'indique, un praticien de la mort (Mot composé de thanato- (du grec ancien θάνατος, thanatos, « mort ») et de praxie (du grec ancien πρᾶξις, praxis, « action »). Bien que ce terme peut parfois faire froid dans le dos et faire dresser quelques poils, les réels actes et implications des thanatopracteurs aujourd'hui en France sont méconnus à juste titre : nous les cachons. Il est raisonnable pour un conseiller funéraire de ne pas s'étaler dans les détails sur les actions qu'un thanatopracteur réalisera sur le corps du proche d'une famille, à moins de risquer de les choquer en invitant leur imagination à les tourmenter.

Pourtant, en voulant protéger l'esprit de chacun, nous créons un mystère plus ou moins glauque autour du métier de thanatopracteur. Face à certaines familles, il m'est déjà arrivé d'entendre certaines suppositions, presque énoncées avec certitude, qu'il m'a fallu prendre énormément de temps à réfuter : "On m'a dit que vous retiriez tout dans le corps, même les organes", "Vous aller lui casser les membres pour l'habiller ?". Si ces deux exemples aussi effrayants que surprenant peuvent en faire sourire certains, ou en faire trembler d'autres, sachez que malheureusement, ces idées sont belles et biens gravées dans l'esprit d'une bonne minorité de Français.

Dans ce premier chapitre de Lanterne, je souhaitais mettre en lumière ce métier qui a été enfoui loin, très loin dans l'ombre, caché du regard de tous, privé de la gratitude méritée. Car parmi l'ensemble des métiers du funéraire, je trouve, personnellement, que les thanatopracteurs et thanatopractrices sont celles et ceux qui incarnent la plus belle image de ce qu'est l'humanité. Chaque jour, très tôt le matin jusqu'à parfois très tard le soir, parcourant kilomètres après kilomètres, seuls dans le laboratoire parfois vétuste de pompes funèbres et de chambres mortuaires, ils sont ceux qui vont tout mettre en place pour que la première image, et la dernière, de la famille auprès de leur défunt soit le plus agréable possible. Mais qui la famille remercie-t-elle ? Les pompes funèbres, les aides-soignants de l'hôpital, et d'autres intervenants, mais très rarement la personne à l'origine du soin. Pourtant nos chers professionnels ne s'en plaignent jamais, se contentent généralement d'un compte rendu de ses confrères "La famille était ravie". Ils agissent dans l'ombre, parfois des heures durant pour reconstruire des visages que l'on croyaient perdus à jamais, parfois ils seraient presque faiseurs de miracles, même pour nous, professionnels du funéraire.

Exhumons ces hommes et femmes de ce tombeau froid et isolé, ceux qui réchauffent bien plus le cœur des endeuillés que quiconque sans jamais réclamer le moindre remerciement. C'est pourquoi j'ai décidé, pour ce premier chapitre de Lanterne, de vous partager la vision d'une thanatopractrice sur la vie, sur ce qui est important, beau et tant de choses.

Linda exerce ce métier avec passion depuis plusieurs années désormais, et même si elle partage cette profession avec bien d'autres thanatopracteur(trice)s, toutes ses réponses à mes questions lui sont individuelles et n'engagent aucunement ses confrères et consoeurs, comme chacune des Lanternes qui accepteront de répondre à mes questions à l'avenir.


Clément : Tu as accepté aujourd'hui de sortir de l'ombre, d'évoquer un peu ton métier, tes ressentis, ta vision des choses qui nous entourent et je t'en remercie. Pourrais tu, à ta façon, qu'elle soit plutôt théorique que philosophique, expliquer en quoi consiste ton métier de thanatopractrice ?


Linda : Bonjour Clément, je tiens d'abord à te remercier pour ta démarche destinée à nous mettre en lumière et à faire de nous les opérateurs funéraire des "Lanternes". C'est pour moi un grand honneur et c'est avec une immense joie que je répondrais à tes questions afin de faire découvrir mon métier.

D'un point de vue théorique, mon métier consiste à donner une image apaisée du disparu, mon but étant vraiment d'apaiser le deuil des familles en sublimant leur défunt. La mort est effrayante et souvent tabou, quand une famille entre dans un salon et se sent apaisée grâce aux soins que j'ai prodigué alors ma mission est accomplie. Tout simplement, mon souhait est d'être un réel soutien au deuil.


C : Est-ce que, d'une certaine façon, cette image de Lanterne pour représenter les professionnels du funéraire te parle ou fait écho en toi ?


L : Cette image de Lanterne que tu as choisis pour nous représenter fait effectivement écho en moi. Car une lanterne est une lumière faite pour briller dans l'ombre, et c'est à mes yeux ce que j'essaie d'être.


C : Comme je l'ai évoqué dans l'introduction de cet article, je trouve que le métier de thanatopracteur représente le métier qui reçoit le moins de remerciements alors que ces derniers seraient totalement justifiés. Comment vis tu cela au quotidien ? N'est-ce pas parfois démotivant d'agir derrière les tribunes et la scène sans jamais venir recevoir les applaudissements ?


L : Cela ne me dérange absolument pas. Au contraire, cela me plaît même. Je trouve que c'est une belle preuve d'humilité de ma part et c'est fidèle à ma personnalité. Je ne te cache pas que lorsque l'on me fait des retours positifs de la famille sur mes soins ça me touche au plus au point et me fait énormément plaisir, mais je peux vivre sans. Ma motivation reste exactement la même car je me mets tout mon coeur dans mon métier et même s'il se peut que je rencontre des difficultés, je suis en accord avec moi-même en me disant que j'ai fais le maximum à chaque fois.


C : Pour quelle(s) raison(s) est-ce que tu pratiques et surtout aimes tant ton métier ?


L : Je suis devenue thanatopractrice suite à la perte d'un être cher. Un accidenté, un décès brutal et choquant, le frère jumeau de mon papa, mon parrain. Nous avons eu du mal à trouver un thanatopracteur qui veuille bien relever le défi pour pratiquer un soin sur mon parrain. Mais une thanatopractrice a voulu. Elle a voulu et elle a fait un chef d'oeuvre. Et moi, qui n'avais jamais vu de défunt dans me vie, qui avais même peur de la mort, j'ai trouvé mon parrain magnifique. J'ai vu également le bien que toute ma famille a ressenti en se recueillant auprès de lui et le bien que je ressentais moi-même. Ce jour là j'ai su. C'était d'un coup une évidence, ce métier était fait pour moi. Je voulais devenir cette personne qui apaise les familles de la même manière qu'on avait apaisé la mienne.


C : Quel serait ton plus beau souvenir, ou ta plus belle anecdote, que tu aurais vécu dans le cadre de ta profession ?


L : Mon plus beau souvenir, ou ma plus belle anecdote... Une fois, j'étais dans un hôpital et ayant fini mon soin, l'agent mortuaire a installé la défunte dans le salon. Son mari attendait déjà et le temps de ranger tout mon matériel, il était déjà en train de se recueillir. Je l'ai entendu pleurer. Ça m'a vraiment fait mal sur le coup. J'avais tellement de peine pour lui. Avant de partir, l'agent de la chambre mortuaire est venu me voir. Tout de suite, je lui ai dis que j'avais entendu le monsieur pleurer et que ça me rendait super triste. Il m'a regardé en souriant et m'a dit "Le monsieur a pleuré tellement il trouvait sa femme magnifique. Il m'a pris le bras pour me dire merci mais je lui ai dit que ce n'était pas moi et que je viendrais te transmettre son merci". Ce souvenir, parmi bien d'autres, restera à jamais dans mon coeur et me mets toujours les larmes aux yeux.

C : Et quelle serait le plus désagréable ou le plus triste ?


L : Mon plus triste souvenir fût le jour où j'ai du m'occuper de deux frères de 4 ans et 6 ans décédés le même jour par bêtise. Je ne m'étalerais pas sur le sujet...

C : Est-ce que la pratique de ton métier t'a apporté certaines leçons de vie, d'humanité ?


L : La pratique de mon métier m'a énormément apporté de leçons de vie et d'humanité. La plus important à mes yeux étant celle de vivre dans l'instant présent et d'apprécier chaque seconde de la vie comme un cadeau merveilleux. Même dans la peine et les épreuves, j'ai appris à aimer la vie dans toute sa globalité avec un détachement serein et un émerveillement d'enfant.

C : Quelles qualités penses tu qu'il faut posséder ou développer pour devenir thanatopracteur ?


L : Pour devenir thanatopracteur, à mon sens, il faut être humain avant tout. Ne pas être dans le jugement, être discret et humble mais également méticuleux et patient.

C : Il y a-t-il un message que tu aimerais transmettre à toutes les familles que tu as accompagnées sans jamais les rencontrer ?


L : Oui, mon message serait : "J'ai pris soin de vos défunts avec tout mon coeur et je n'ai cessé d'avoir de bonnes pensées envers vous et celui ou celle que vous avez perdu. Vous pouvez être sûrs que j'ai traité votre disparu avec le plus grand respect et que j'ai fait au maximum, jusqu'au moindre mini détail.

C : Et enfin, que penses tu de cette citation : "Nous assombrissons notre âme et perdons une part de notre innocence pour éviter que celle des autres ne s'écartent de la lumière" ?


L :Cette citation est très juste, dans le sens où nous sommes parfois témoins visuellement de choses terribles et émotionnellement de choses encore plus terribles et que par nos actes, les familles elles, d'un point de vue visuel, ne verront pas ce que nous voyons, et d'un point de vue émotionnel, en seront légèrement, voir bien plus, apaisées. Mais pour nous, ce bagage ne nous quittera jamais.


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